Contrôles dans les trains
rideau
le train pendant l'occupation
Le train s'arrête dans la nuit. Les voyageurs ont froid. Une misérable ampoule, recouverte de peinture bleue, tire à peine de l'obscurité des visages fatigués.
La voix d'un haut-parleur, la voix que tout le monde attendait en silence, emplit la nuit : « Chaton, cinquante minutes d'arrêt. Le contrôle des voyageurs se fait dans les compartiments. Tous doivent rester à leur place, personne n'a le droit de descendre sur le quai... » .
Les voyageurs, complètement tirés de leur mauvais sommeil, allument une cigarette, vérifient instinctivement (le geste que l'on a à l'approche de toutes les frontières) le contenu de leur portefeuille, quelques-uns s'enferment dans les waters pour glisser derrière la cuvette un papier compromettant. Le wagon redevient silencieux. Sur le quai vide, des soldats allemands sont postés de loin en loin. Baisse-t-on les vitres bleues et rayées de coups de canif, on devine une petite gare sinistre noyée dans un brouillard blême. Fermez ! On crève de froid ici.
le train et la ligne de demarcation
Un pas approche. Rudement tirée, la porte laisse passage à un officier allemand. Il éclaire le compartiment :
Préparez les cartes d'identité et ausweis de passage.
Ceux qui sont habitués font les gestes nécessaires. Ils présentent leurs papiers au second officier qui ne tarde guère. Ils ont le geste négligent et l'air de penser à autre chose. Mais ceux qui passent cette frontière pour la première fois ne peuvent s'empêcher de trembler un peu. Ils sont toujours en faute. Qui n'est pas en faute en ces temps tragiques ? L'officier salue et s'en va.
Surgit un troisième Allemand. Qu'avez-vous à déclarer ? Avez-vous des papiers d'affaires ? des lettres ? des devises étrangères ?
Tout le compartiment, les dents serrées, répond non par son silence. Un silence épais. Chacun guette les réactions du voisin et observe les mouvements du douanier. Il a l'habitude de s'adresser à des compartiments de sourds-muets, cet homme-là. Cela ne le gêne nullement pour faire son travail. Il ouvre trois ou quatre valises, dérange des casse-croûte, plonge sa main dans des haricots ou du beurre, rafle les journaux publiés en zone libre, inspecte deux ou trois portefeuilles, étale des billets de cent francs, des photos de famille, des cartes professionnelles, des images de première communion. Trouve, ne trouve pas.
Attention aux vieilles lettres.
Anatale de Monzie, à qui le douanier de Langon demande : Avez-vous des lettres ? lui confie sans soupçon son portefeuille où se trouve cependant une lettre oubliée. Au temps où les Allemands multiplient leurs victoires russes par des victoires africaines, l'ami qui lui écrit n'en prophétise pas moins la défaite de Hitler. La lettre vogue de douanier en officier supérieur. Celui-ci a un beau sourire.
Monsieur, quoi qu'en dise votre correspondant, nous ne sommes pas perdus, et je vous prie de vous ranger de ce côté.
« Ce côté », c'est celui des délinquants de peu d'importance, que l'on conduit en troupe à la gendarmerie (étudiant, chaudronnier de Courbevoie, paysans, Marocain évadé d'un camp de prisonniers), et qu'après un interrogatoire rapide l'on enferme pour huit ou quinze jours : c'est le tarif le plus bas ; celui qui sanctionne l'absence d'ausweis, le port de lettres ou de papiers que les douaniers jugent peu comprornettants...
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La ligne de démarcation